Les Annales savenaisiennes n°9 du Groupe d’Histoire 
Locale (GHL) constituent le catalogue de l’exposition à l’espace 
culturel Paul Greslé, du 21 au 28 septembre 2014. La publication paraît 
de qualité. Mais la forme ne saurait laisser admettre le fond.
La
 publication se place d’emblée dans la logique affichée de la 
commémoration officielle de la Grande Guerre et de 1914. Celle qui met 
sur le même plan « le centenaire de la Première Guerre mondiale et le 
70e anniversaire de la Libération de la France » (p.355). Or, les deux 
guerres, même si elles sont "mondiales" et « s’inscrivent dans la 
mémoire nationale », ne sont pour autant pas comparables historiquement,
 ni dans leurs origines, ni dans leurs causes, leur déroulement ou leur 
signification… L’anachronisme officiellement validé par l'Etat ne doit 
cependant pas servir à autoriser et couvrir de nouveaux errements de 
l’histoire locale.
Faisant état de « leurs expériences et de leur expertise » 
auto-proclamées (p.358), les "férus d'histoire" chevronnés, auteurs de 
l’ouvrage, commettent pourtant diverses erreurs de novices. Ils se 
recommandent « d’une approche historique mémorielle et thématique », 
assurant que « les historiens utilisent le terme de chrono-thématique 
pour qualifier ce type de démarche » (id.). Or, c’est là confondre la 
problématique d’une question historique et son mode d’exposé. Il est 
vrai que lorsqu’il s’agit de présenter un développement, s'offre alors 
le choix entre trois types de plans : chronologique, thématique, ou une 
combinaison des deux. C’est d’ailleurs bien ce qui est annoncé ensuite, 
non plus pour le contenu de cette brochure, mais dans la présentation 
des projets du GHL pour les années 2015 à 2018, et qui devrait 
constituer un « cycle chrono-thématique » (p.359), pour autant que 
chaque année de la guerre puisse être caractérisée par un thème et un 
seul. Deuxième confusion donc, entre approche, démarche et type 
d’exposition.
Ensuite il est annoncé que le GHL a eu « la chance de travailler,
 entre autres sur des archives extraordinaires, sans doute l’un des 
fonds privés concernant cette période les plus riches de Loire 
Atlantique : le fonds Reveilhac-Berthiau ». Rien moins. L’"entre autres"
 est cependant de trop, puisqu’il apparaît ensuite, même si ce n’est pas
 toujours indiqué clairement, que c’est la source quasi exclusive du 
document. Non seulement lorsqu’il s’agit du récit de l’entrée en guerre 
(p.360-361), mais de l’état d’esprit de revanche avant 1914 (p.362-363),
 de la préparation militaire (p.364-365), ou du parcours individuel de 
Paul Reveilhac, « le premier Mort pour la France de Savenay » (p.378 à 
381).
Cette unilatérité du fonds de référence est d’abord une faute 
technique, car la méthode historique exige de comparer, de confronter et
 de croiser le plus possible de sources. Cette erreur méthodologique 
rédhibitoire n’est évidemment pas sans générer ensuite - en chaîne - 
biais, déséquilibres, raccourcis et obscurités.
Déséquilibre ? 
Pourquoi, par exemple, citer aussi longuement - 16 lignes pleines (p. 
363), l’ouvrage d’un obscur officier publié en 1896 sur la guerre 
franco-allemande de 1870-1871, même si cela illustre bien l’esprit de 
revanche des « élites militaires » en quête « d’opportunités de carrière
 » ensuite justement souligné (p.371). Alors que le sort du dirigeant 
socialiste national, pacifiste, Jean Jaurès, assassiné le 31 juillet, 
est expédié en 8 demi-lignes p.373, sans que le nom du journal qu’il a 
créé en 1904, l’Humanité, soit même cité. Du coup, l’idée unanimiste d’ 
"Union sacrée", qui règne ensuite quelques années sans partage, est 
également évacuée.
Ce qui n’autorise pas davantage cet autre raccourci : « Aux 
Etats-majors, à Saint-Cyr comme à Savenay, la préparation d’une guerre 
est dans tous les esprits » (p.365). Généralisation abusive. A Rio 
Froment - la propriété locale de la famille Reveilhac - certes, mais 
dans les autres milieux ? Il aurait été intéressant de se poser vraiment
 la question. Mais le seul fonds Reveilhac-Berthiau ne le permettait 
évidemment pas.
Obscurités, quand dans la même page (367) il est d’une part fait 
état de « l’insouciance avant la tempête », et d’autre part du fait que «
 l’éventualité d’un conflit ne semble laisser aucun doute ». On frôle la
 contradiction.
Biais, surtout, quand dans les 50 objets présentés, sans que 
l’origine du fonds soit à chaque fois précisée, on trouve les carnets et
 documents d’un officier de Saint-Cyr (p.370), les écharpes, épaulettes,
 dragonne d’un « Général de brigade » cette fois anonyme (p.371), les 
uniformes et toilettes du Général de Brigade G.Reveilhac et Mme (p.369),
 etc. Trop, c’est trop, confinant au pur et simple "culte de la 
personnalité".
Le récit même de l’entrée en guerre entrelace les éléments 
essentiels de la crise de juillet 14, qui conduit au déclenchement d’une
 guerre d’abord européenne, par l’engrenage des alliances, avec des 
extraits (peu lisibles) d'articles d’une presse, régionale et nationale,
 qui n’a, à l’évidence, nul besoin de « la censure » pour faire de « la 
propagande patriotique ». (p.374-375). Ce qui n’empêche pas d’affirmer -
 autre contradiction - que « les journaux sont l’une des seules sources 
d’information pendant la guerre » (p.394). Cette « presse de guerre », 
militariste et belliciste, qui « diffuse une information très contrôlée »
 n’est-elle justement pas celle qui était lue à Rio Froment, résidence 
du général Géraud François Gustave Reveilhac (1851-1937), celui de 
l’affaire des quatre caporaux de Souain, envoyés par lui en cour 
martiale et condamnés à être fusillés pour l’exemple en mars 1915). [Cf.
 http://moulindelangladure.typepad.fr/monumentsauxmortspacif/2007/10/les-quatre-capo.html]. Voir, à ce sujet, Les Annales Savenaisiennes, n°8, de septembre 2013.
Dans cette nouvelle livraison, le récit chaotique s’arrête 
brutalement au 22 août 1914, au prétexte que c'est la date de la mort de
 Paul Reveilhac (1892-1914), fils du général du même nom, au front. « 
Nous faisons délibérément le choix d’arrêter cette entrée en guerre au 
22 août 1914 » (p.385). Comme si ce malheureux décès au Front – il ne 
fut certes pas le seul en cet été 14 – avait une signification majeure 
dans le cours d'ensemble de la guerre.
Il ressort finalement de cette brève analyse que l’utilisation 
unique et systématique d’un seul fonds dans cette publication - et dans 
l’exposition dont elle est le livret - entraîne une image nécessairement
 tronquée et étroite de l’année 1914 à Savenay. Elle en donne une vision
 élitiste, militariste et belliciste. A tel point qu'on s’étonne 
beaucoup qu’elle ait pu être cautionnée par une association aux 
objectifs et valeurs à l’opposé de telles orientations. Avec tant de 
biais, de raccourcis, de déséquilibres et de confusions qu’elle ne 
saurait faire, sans préoccupations, l’objet d’une présentation à visée 
pédagogique qui soit conforme aux exigences les plus élémentaires de 
l’histoire. Elle n’a décidément pas sa place dans les établissements 
d’enseignement, publics ou non.
J-Yves Martin, agrégé d’histoire-géographie
et
Ronan Pérennès, certifié d'histoire-géographie
Annales savenaisiennes n°9, « Cent ans après… Se souvenir de la Grande Guerre », Groupe d’Histoire Locale, Patrimoine et Citoyenneté, Amicale laïque, Septembre 2014, 45 p., 12€.et
Ronan Pérennès, certifié d'histoire-géographie
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Pour aller plus loin, voir une bibliographie

 
