vendredi 23 novembre 2018

Éditions Universitaires Européennes & démarchage : Extrême vigilance !!!

Éditions Universitaires Européennes & démarchage :

Extrême vigilance !!!


Depuis le début de mois de novembre 2018, je suis officiellement inscrit en thèse de doctorat en Histoire moderne, à l'Université de Bretagne Occidentale, située à Brest. Mon projet de thèse date déjà de plusieurs années, j'ai déjà rédigé quelques parties, mais mon travail est très loin d'être terminé. Je n'ai donc pour le moment absolument rien à publier en l'état.

Or, le 15 novembre dernier, soit à peine deux semaines après mon inscription officielle, je reçois ce mail, qui m'est personnellement adressé (et, pour une fois, sans faute à mon nom, en plus !!), provenant des Éditions Universitaires Européennes (EUE) : 
 
Cher Monsieur Pérennès Ronan,
Je suis ##### ##### et au nom des Éditions Universitaires Européennes, je voudrais vous inviter à publier un de vos travaux de recherche dans le domaine Histoire (un manuel, votre thèse ou dissertation). Qu'en pensez-vous?
Notre maison d'édition se donne pour objectif de développer les échanges entre chercheurs, enseignants et simples curieux afin de dessiner les contours du monde scientifique, technique et culturel de demain.
A cet effet, aimeriez-vous en savoir plus sur notre maison d’édition et sur le processus de publication?
Nous serions honorés de vous compter parmi nos auteurs.
En espérant une réponse rapide de votre part, je vous prie d'agréer l'expression de mes salutations distinguées.

Passé le temps de la surprise de recevoir un tel message aussi rapidement après l'inscription afin de me voir proposer une publication ma thèse, qui n'est qu'un vaste chantier actuellement, je décide tout simplement d'ignorer cette démarche, qui me semble pour le moins cavalière. L'auteur de ce message espère même une réponse “rapide” de ma part.

Je suis très bien placé pour savoir que publier un ouvrage peut parfois relever du parcours du combattant. Pour le livre collectif que nous avions sorti en 2012 avec l'Association d'Histoire du Lycée de Savenay (AHLS), Savenay, jeune lycée, vieux murs, il nous a fallu lancer une souscription afin de récolter beaucoup de fonds pour financer l'impression du livre. Cela a pu fonctionner car nous étions nombreux et nous connaissions du monde. Et malgré cela, ce ne fut pas simple. Pour l'ouvrage que j'ai sorti en 2014, De l'histoire au patrimoine, la Forge Neuve, Moisdon la Rivière, j'ai du faire face à un bon nombre de refus de la part d'éditeurs qui ne voulaient pas publier chez eux un ouvrage qui portait sur un sujet aussi pointu. C'est finalement la Société Historique du Pays de Châteaubriant (HIPPAC) qui a littéralement sauvé mon projet fin 2014. Sans l'HIPPAC, le livre sur les forges ne serait peut-être jamais sorti !! En 2019, pour le livre que nous sortirons (INRAP + AHLS + d'autres participants) sur le Couvent des Cordeliers, à Savenay, sans l'aide de la mairie et de l'INRAP, rien n'aurait été possible non plus !

Par conséquent, recevoir une telle proposition venant d'un éditeur qui ne sait même pas sur quoi je travaille pose sérieusement question sur le bien fondé de sa démarche...

Une semaine passe, vient un second message :

Bonjour Monsieur Pérennès Ronan,
Je vous ai invité la semaine passée à publier gratuitement un livre chez Éditions Universitaires Européennes. Avez-vous reçu ce courriel?
Vous pouvez trouver plus d'informations concernant nos services en cliquant sur ce lien-ci: http://brochure.omniscriptum.com/info-eue/0674983001454073475
Au plaisir d'une éventuelle collaboration artistique et scientifique avec vous.

J'en conclus donc que pour eux, une réponse “rapide” signifie une réponse quasi-immédiate, car une semaine après le mail de rappel arrive déjà. N'ayant rien à publier, et trouvant cette offre trop alléchante pour être honnête, je décide de me renseigner sur cette maison d'édition. Je tape “Éditions Universitaires Européennes” dans Google et là...


Cette société aurait contacté beaucoup de doctorants, depuis au moins depuis 2010, en France, en Belgique, et même au Canada sous différents noms. J'ai trouvé une multitude d'avis, très mitigés. Méfiant, j'ai envoyé le mail dans ma corbeille sans y répondre.

Pour résumer, cette maison appartient à un groupe d'édition allemand, VDM Verlag, créé en 2002. L'auteur peut publier aux EUE gratuitement un ouvrage, tout se fait sur internet.

L'Université du Québec explique en mai 2011 les choses de la manière suivante sur le site des Presses Universitaires du Canada (mais là, on peut craindre aussi le conflit d'intérêt):
Comment la compagnie opère-t-elle ? Des travailleurs de la Moldavie et de l’Île Maurice récupèrent des informations par le biais des bases de données de thèses et mémoires disponibles au format numérique sur les sites des bibliothèques universitaires. Ils utilisent ces données pour contacter massivement par courriel des chercheurs pour leur offrir un contrat des plus intéressants : publier leur thèse dans un délai très court, sans frais, avec une redevance sur les ventes et l’obtention d’une copie papier gratuite. Le problème (car vous vous doutiez que tout était trop beau pour être vrai) est que le manuscrit n’est soumis à aucune forme de révision ou d’arbitrage : tous les travaux sont acceptés. Le livre est mis en vente sur des sites comme Amazon à un prix exorbitant (plus de 120 $ en général) et n’est imprimé que sur demande. 
 À qui sont versés les profits ? VDM Verlag ne paie pas de redevances aux auteurs lorsqu’elles sont inférieures à 10 euros par mois. La quasi-totalité des auteurs perdent donc leurs menus profits au bénéfice de la compagnie. Quand on pense à la dizaine de milliers de titres du catalogue de la maison d’édition, on imagine de quel ordre peut être le profit engrangé par VDM Verlag. D’autant plus que les auteurs pour lesquels leur livre leur rapporte entre 10 et 50 euros par mois ne reçoivent pas non plus d’argent, mais plutôt une compensation sous forme de coupon à échanger pour des livres produits par la maison. 
Est-ce une fraude ? Ce modèle d’affaire n’est pas une fraude en soi. Par contre, le fait de publier chez VDM Verlag peut entacher le curriculum vitae d’un chercheur, vu les pratiques non orthodoxes de la maison d’édition. Aussi, nous vous suggérons de bien choisir votre éditeur au moment de publier vos travaux. Il existe également d’autres moyens de diffuser vos écrits sans passer par un processus d’édition universitaire, comme un système d’archives ouvertes comme Érudit. Soyez vigilants ! 

Afin que chacun se fasse son avis, je peux aussi citer l'article de Claire Paulian, « Les éditions universitaires européennes : du stock de livres au stock d'auteurs », lisible ici :
Même les auteurs de science-fiction sont concernés !!! https://resf.hypotheses.org/3166
- L'INRS, au Canada, met également les éventuelles cibles en garde : http://sdis.inrs.ca/pour-en-finir-avec-les-%C3%A9ditions-universitaires-europ%C3%A9ennes
- Une page Wikipédia existe même à ce sujet ! Toutefois, certains faits sont cités sans que toutes les sources ne soient citées, certaines informations sont donc à prendre avec précaution : https://fr.wikipedia.org/wiki/VDM_Publishing

Ce qui ressort des différents signalements que j'ai pu lire sont que les droits d'auteur ne seraient pratiquement pas (ou très peu) reversés. Ensuite, l'auteur devra assurer la mise en page lui-même. Enfin, et c'est surtout cela le plus inquiétant lorsque l'on est doctorant, il n'y a aucun comité de lecture. Dès lors, quel degré de sérieux attribuer, dans un cadre universitaire, aux publications des EUE ? Et surtout, une publication chez un tel éditeur ne risquerait-elle pas de compromettre la carrière d'un éventuel futur enseignant chercheur qui se serait laissé tenter par une maison d'édition qui n'accorde pratiquement aucun gage scientifique à ses publications ?

En réalité tout dépend donc de ce que vous voulez faire. Pour publier rapidement un ouvrage grand public, en noir et blanc, sans trop de contraintes, et sans rechercher une rémunération importante, les EUE peuvent faire l'affaire. Mais pour publier des travaux universitaires et les faire figurer dans un CV en vue de candidater pour être enseignant chercheur, c'est risqué, car le fait d'avoir publié un ouvrage chez un éditeur qui n'a pas de comité de lecture sera probablement pointé du doigt. Même s'il ne s'agit pas d'une arnaque à proprement parler, la proposition se révèle en réalité bien moins alléchante qu'il n'y parait. Mieux vaut donc faire preuve d'une extrême vigilance face à ce démarchage.

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