dimanche 29 octobre 2017

S'engager pour libérer la France : l'exemple du maquis de Saffré (1944)

 http://www.musee-resistance-chateaubriant.fr/spip.php?article147
Visuel de l'exposition

Ce texte a été rédigé dans le cadre de la rédaction de l'exposition "S'engager pour la liberté de la France - 1940-1945", au Musée de la Résistance de Châteaubriant (44)


La mise en place des maquis est une première étape vers la Libération de la France. En Loire-Inférieure, le général Audibert est placé à la tête de l’Armée secrète de l’Ouest, regroupant deux formations : Au sud Loire existe le Maquis Sud-Loire, et au nord de la Loire, ce sont au total 18 maquis qui se mettent en place et forment la structure du futur Maquis de Saffré, en 19441
 
Le but est simple : permettre dès 1943 la formation de réseaux pour que tous les résistants soient bien armés et équipés au moment du Débarquement. Ainsi, ils peuvent par la suite bloquer les voies de communication et ainsi empêcher les Allemands de parvenir au front.

Blason du Maquis de Saffré. Crédit : La Mée
Initialement, le premier maquis reconnu légitime le 16 octobre 1943 par le Valentin Abeille, délégué militaire régional des FFI, est le maquis de la Maison-Rouge, sur la commune des Touches, entre Nort-sur-Erdre et Riaillé. Ce maquis est composé d’une trentaine de personnes au départ, issues des communes de la Meilleraye-de-Bretagne, Nort-sur-Erdre et des environs. Dans la ferme de la Maison-Rouge, le propriétaire Pierre Martin, un ancien poilu, recueille déjà des réfractaires au STO. Claude Gonord, 21 ans, membre du réseau Eleuthère, reçoit l'ordre de créer un maquis en juin 1943. La création du maquis de la Maison-Rouge est effective le 5 juillet 1943. Suite à une dénonciation, Claude Gonord est emprisonné en décembre 1943 puis déporté en janvier 1944, mais le maquis continue d'exister.

Dans la nuit du 15 au 16 juin 1944, ils sont près d’une centaine. Dès lors, il faut choisir un autre lieu plus vaste pour l’implantation et le maquis est transféré en forêt de Saffré, en attendant le parachutage d’armes par les Anglais. Le terrain avait été choisi car il est situé en face d'une vaste prairie (la prairie dite “des Gouvalous”). Les fermes du Pas du Houx et des Brées deviennent alors le PC du nouveau maquis de Saffré. Dans un premier temps, le commandant Briac Le Diouron (dit “Yacco” en raison de la publicité pour les huiles présente sur son taxi) organise les groupes à la base de la création du maquis. Le 16 juin 1944, un incident oppose violemment le commandant Yacco et le commandant Joseph, de son vrai nom Robert Cadiou, chef des FTP du maquis du Meix. Joseph refuse alors d'envoyer ses hommes à Saffré. À partir du 17 juin, le commandement du nouveau maquis de Saffré est confié au commandant Philippe, de son vrai nom Félicien Glajean, envoyé par Libération Nord.

Ferme des Brées, détruite par les Allemands le 28 juin 1944. Crédit photo : Patrice Morel.
François Martin, un ancien maquisard, témoigne :

"Je ne suis pas un héros. Je suis de la classe 42 et j'avais déjà reçu par deux fois des convocations pour le service du travail obligatoire (STO). Je me suis camouflé sur Bouvron, puis à Plessé. Début juin, les Alliés débarquent en Normandie. Le vicaire de l'époque, l'abbé Henri Ploquin, recrute. Il avait l'esprit patriote. Je savais que je risquais ma peau. Je n'étais pas obligé de dire oui à Ploquin, mais j'étais bien décidé d'aller me battre contre les Allemands. Il fallait avoir la foi, dans ces années où l'on pouvait basculer d'un côté ou de l'autre. À cette époque, nous, les maquisards, n'étions pas bien considérés par tout le monde. La résistance a été beaucoup critiquée. Nous étions qualifiés de terroristes par l'armée d'occupation. Le 15 juin, nous sommes partis en vélo, sans savoir où nous allions. J'avais juste un sac tyrolien, quelques effets, un livre... Il y avait l'abbé Ploquin, Jean Caux, Eugène Lucas, des gars de Fay... Il y avait 60 armes pour 310 hommes. C'était mal organisé. Les alliés ont parachuté des armes le lendemain de l'attaque."
 
Le temps est mauvais et à cause de ces conditions météorologiques, le parachutage tant attendu n’arrive pas. Dans le même temps, suite à l'attaque du maquis de Teillay, au nord-ouest de Châteaubriant le 23 juin, tous les maquisards du nord du département viennent se cacher en forêt de Saffré. Le nombre de maquisards atteint alors 310 hommes. Ces résistants appartiennent aux FFI. Les FTP, suite à l'incident entre Joseph et Yacco, ne s'y engagent pas. Les époux Rouquié, garagistes à Héric, chez qui les responsables FFI s'étaient réunis, ont été trahis et arrêtés. Tout le réseau est ainsi infiltré par la Gestapo.

Le 28 juin 1944 au petit matin, les Allemands attaquent le maquis. Entre 1500 et 2000 hommes, équipés d'armes automatiques arrivent en forêt de Saffré. "C'était des SS et des miliciens de Pétain" explique François Martin. " À côté de moi, Charles (Bretecher) s'est exclamé : Oh ! Les boches ! Ils sont à vingt mètres. Nous, on n'était pas armé, et puis même... Les balles sifflaient aux oreilles. Nous étions tombés dans un piège." Pour aller plus vite, Charles a abandonné son sac contenant des balles. Celui de François est resté aussi sur le terrain. Son livre est dedans avec son nom et son adresse inscrits à l'intérieur. "Les Allemands l'ont récupéré. Heureusement, c'était déjà la débandade, sinon..."

Puis, ils sont partis à quatre pattes, à travers les épines. Le temps de traverser une route, sauter une barrière, un camion de soldats arrivait. "Ils ne nous ont pas vus. Nous avons pris la direction de Fay et Bouvron à travers les champs. Je n'ai jamais revu l'abbé Ploquin qui a été fait prisonnier ce jour-là, déporté puis libéré en 1945."2

La majorité des maquisards parvient à s'échapper, mais tous n'ont pas cette chance. Georges Chaumeil, 18 ans, tente de retarder les Allemands avec son fusil mitrailleur. Une partie de ses camarades arrivent à se replier, mais Georges Chaumeil se retrouve encerclé par les Allemands. Il est tué sur place. Quatre autres maquisards (Baptiste Rabin, Louis Loizel, Félix Guillet et Paul Orieux) sont massacrés par les Allemands entre la ferme du Pas-du-Houx et la ferme des Brées. Les fermiers, qui ont accueilli les maquisards, sont frappés et leurs fermes sont brûlées.
 
Auguste Guiheneuc, Fonds Studio Théau –
Coll. AMRC / MRn 



Gayer, chauffeur du car Drouin réquisitionné par les allemands pour les transporter, raconte l'attaque : 
 

Joseph Nauleau, Fonds Studio Théau –
Coll. AMRC / MRn
Environ une heure après, j’entendis des coups de fusils et des rafales de mitrailleuses. Je pensais sur le moment à des manœuvres, à un genre d’exercice de guerre, quand à un moment donné un civil débouche d’un champ sur la route. Les sentinelles qui me gardaient l’ayant aperçu firent feu sur lui, moi je leur dis, croyant à une méprise : « monsieur vous tirez sur un civil », ce à quoi il répondit « c’est un terroriste ». À ce moment je me rendis compte de ce qui se passait. À environ une heure de là, quelques officiers sont venus me chercher avec le car pour aller rejoindre la ferme du Pas du Houx. Sitôt notre approche avec le car, j’ai aperçu le feu dans une meule de foin, et tous les pauvres maquisards attachés les mains au dos à l’aide de ficelles. Ils étaient maltraités à coups de pied et de crosses de fusil. Pendant ce temps, la Gestapo dévalisait tout dans les deux fermes. J’ai vu aussi le beau frère de la fermière, frappé torturé également par la Gestapo.








Au total, l'attaque tue 13 maquisards sur place. La plus jeune victime, Robert Geffriaud, n'a que 17 ans. 27 autres d’entre eux sont massacrés le lendemain à la Bouvardière, à Saint-Herblain. Deux sont exécutés à la prison Lafayette à Nantes, et 29 sont condamnés à la déportation. Les survivants de l'attaque poursuivent leurs actions dans la poche de Saint-Nazaire jusqu'en 1945. La Résistance continue.


Ronan Pérennès, professeur certifié d'Histoire et de Géographie, octobre 2017.

Groupe d’allemands devant un véhicule. Photo prise après « l'opération de Saffré »
 en juin 1944. AD49, Cote 75W34. 
Publication dans le cadre de l'exposition "S'engager pour la liberté de la France"



Bibliographie :

- Collectif, Catalogue d’exposition En guerres, Editions du château des ducs de Bretagne, 2013
- Gasche, Etienne, De la Maison rouge au maquis de Saffré, Nantes, 1986
- Gasche, Etienne, Saffré, 28 juin 1944, la mémoire des maquisards, éditions Coiffard, Nantes, 2012.
- Le Diouron, Briac, Soldats de l'Ombre 1939-1944, Nantes, 1968.
- Marcot, François, La Résistance et les Français: Lutte armée et maquis : colloque international de Besançon 15-17 juin, Belles Lettres, coll. « Série Historiques », Paris, 2003
- Perraud-Charmantier, André, Le drame du maquis de Saffré, 15-28 juin 1944, éditions du fleuve, Nantes, 1946.



Le Chêne à Chaumeil : "à l'aube du 28 juin 1944, Georges Chaumeil, de Saint-Nazaire, armé de son fusil-mitrailleur, retarda l'attaque allemande dans les Gouvalous, permettant le repli de ses camarades. Encerclé, il fut tué sur place. Il avait 18 ans."                                                                                                                                                                                        Crédit photo : Patrice Morel.



1 L'essentiel des informations ayant servi à réaliser cette synthèse sont tirées de l'ouvrage suivant : Gasche, Etienne, Saffré, 28 juin 1944, la mémoire des maquisards, éditions Coiffard, Nantes, 2012.

2 Témoignage de François Martin, Ouest France, 20 juin 2014.