Le lourd passé négrier de Nantes joue des tours à cette jeune maître de conférences qui a pourtant candidaté sur un poste correspondant au sujet de sa thèse...
Voici l'extrait du journal Ouest France paru ce jour.
Une enseignante, rejetée à La Réunion, parce qu'elle est nantaise
La nomination de cette enseignante en histoire de l’esclavage a été suspendue. Parce qu’elle est, lui reproche-t-on, de la métropole… et de Nantes, premier port français de la traite négrière.
Elle ouvre le dossier épais qui renferme les articles de presse. Il y en a des dizaines. « À La Réunion, on parle toutes les semaines de cette histoire, c’est fou », s’étonne la Nantaise Virginie Chaillou-Atrous. Depuis plus d’un an, elle se retrouve au cœur d’une invraisemblable polémique concernant sa nomination comme maître de conférences.
"Le sujet de ma thèse"
Pour
comprendre, il faut retourner en juillet 2014, quand disparaît
tragiquement en mer une sommité locale, le professeur Sudel Fuma.
L’université de La Réunion décide alors de mettre au concours, en
février 2015, un emploi de maître de conférences « Histoire de
l’esclavage, de l’engagisme et de l’économie des colonies dans les îles
du Sud-Ouest de l’océan Indien au XVIIIe et XIXe siècles ».La Nantaise postule – « c’était le sujet de ma thèse ! » – et deux candidats sont retenus, tous de la métropole. Mais le concours est curieusement annulé, « le
président du comité de sélection, le professeur Prosper Eve, réputé
là-bas, prétextant qu’il manquait des membres du jury ».
« Dans les règles »
Le
concours est reproposé un an plus tard. Virginie Chaillou postule à
nouveau. Le comité de sélection se forme, mais quatre membres décident
soudainement de le boycotter, estimant qu’il n’a pas été constitué « dans les règles ». Il est malgré tout validé et Virginie Chaillou est retenue, emportant la mise face à un candidat de La Réunion, âgé de 59 ans.
"Insulte" à la mémoire de l'historien disparu
« À
partir de là, la presse locale s’est déchaînée, avec une véritable
campagne de désinformation, instrumentalisée par des associations
parfois identitaires. » Le Conseil représentatif des Français d’outre-mer (Crefom) s’en mêle, estimant que cette nomination est « une véritable insulte à la mémoire de l’historien disparu ».
Le tribunal suspend sa nomination
En juillet dernier, le
tribunal administratif de La Réunion, saisi en référé par plusieurs
personnes dont le candidat malheureux et Prosper Eve, suspend la
nomination de Virginie Chaillou. « Le comité de sélection a délibéré dans des conditions qui ne lui permettaient pas de siéger valablement, faute de quorum »,
indiquent les juges. Décision que ne commentent ni le ministère de
l’Éducation nationale, ni le rectorat, ni l’université de La Réunion.
L’affaire sera prochainement jugée sur le fond.« Non seulement on me reproche d’être issue de la métropole, mais avant tout d’être Nantaise »,
affirme la jeune maître de conférences. Au XVIIIe siècle, période visée
par l’intitulé du poste, Nantes était en effet le premier port négrier
français. Un symbole qui serait mal perçu.
"Réécrire l'histoire depuis Nantes"
La
« Nantaise » est d’ailleurs le surnom qu’on lui a donné dans la presse.
Un journaliste réunionnais, Vincent Fontano, écrit même à son sujet : « Ce
n’est pas de n’importe quelle ville, mais de Nantes, port négrier, que
l’on veut réécrire l’histoire de l’esclavage, à La Réunion ! »
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Un article posté sur la page Facebook d'un militant identitaire de La Réunion |
Virginie Chaillou est-elle pointée du doigt pour ses
origines nantaises ou son challenger, proche de Prosper Eve, a-t-il,
lui, été écarté parce qu’il était Réunionnais ? Françoise Vergès,
politologue spécialiste de l’histoire de La Réunion, estime que « la
personnalisation de l’affaire » masque une question profonde. « À La Réunion, explique-t-elle, la
plupart des postes sont occupés par des Français de France. Ce n’est
pas du racisme à l’envers, mais il existe bien une inégalité avec des
jeunes diplômés qui ne peuvent pas rester ni revenir sur l’île. »
Certes,
mais le candidat perdant, titulaire du Capes et d’une agrégation, n’est
pas vraiment tout jeune. Et pas véritablement plus capé, comme voudrait
le faire croire le Crefom. « Ça ne sent pas très bon, renchérit-on dans le monde universitaire nantais.
Ce candidat réunionnais de 59 ans est professeur agrégé du secondaire
et il a fait toute sa carrière au collège ! Quelle légitimité a-t-il
pour prendre ce poste ? »
"J'y vois un symbole..."
Virginie Chaillou, elle, est prête à se battre jusqu'au bout, alors qu'une pétition vient d'être lancée par des enseignants qui la soutiennent.
"Je ne renoncerai pas, car j'y vois un symbole, une affaire de
principe. La procédure est parfaitement légale et j'entends continuer à
me battre."
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